Avec 
          "Un Transport en commun", vous visitez tous les genres. Les huit chansons 
          du film puisent dans la romance, le jazz, le blues, le rock, la soul, 
          etc. Sachant que six sont en français et deux en wolof, qui convoquent 
          aussi des percussions. Quelle était votre volonté ?
          
                Au départ il y avait une irrésistible 
          envie de visiter la comédie musicale dans sa plus grande tradition. 
          D'un point de vue musical, cela voulait dire aller vers quelque chose 
          de très large en convoquant une grande formation. Mais ce qui me semblait 
          intéressant et important ici c'était d'aller trouver pour chaque personnage 
          son expression musicale, la plus juste possible, avec des sonorités 
          qui correspondraient à leur humeur, leur émotion, leur trajectoire au 
          moment où le film se déroule.
                Le personnage de Malick, qui s'apprête 
          à émigrer en Italie, est déjà presque là-bas, en même temps avec une 
          vision assez passéiste de l'Italie. Il chante un twist dans lequel résonne 
          aussi une mandoline, ce sont des sons qu'il aurait pu entendre au détour 
          d'un vieux transistor. Mme Barry, tenancière du salon de coiffure, est 
          dans un registre Jazz qui aurait pu être lyrique aussi, avec cette coiffe 
          qui m'inspirait un personnage de Castafiore… Elle chante le blues, ses 
          regrets, notamment l'éloignement de ses enfants. Ce n'était donc pas 
          une volonté de départ de visiter différents genres musicaux mais plutôt 
          celle d'être au plus près des personnages. Avec le compositeur, Baptiste 
          Bouquin (dont c'est ici notre troisième collaboration après J'ai deux 
          amours et Deweneti) nous avons réfléchi chaque morceau en fonction des 
          personnages mais aussi des situations car on passe de chansons intimes 
          à des chansons de groupes chorégraphiées qui ne nécessitent pas la même 
          instrumentation. La musique originale du film est interprétée par une 
          trentaine de musiciens dont le Surnatural Orchestra et L'Ensemble Les 
          Cordes.
                
          Votre culture cinématographique, c'est aussi la comédie musicale, 
          Chantons sous la pluie et Jacques Demy ?
          
                Oui, c'est tout ça, c'est Fred Astaire 
          et Ginger Rogers, c'est Vincente Minelli… Ce sont mes plus vieux souvenirs 
          de cinéma et je crois que mon désir de cinéma vient de films musicaux, 
          de Peau d'âne, du Magicien d'Oz, de West Side Story… Il 
          y a très longtemps que je voulais faire une comédie musicale, mais c'est 
          un genre très difficile à mettre en œuvre. J'ai étudié le cinéma mais 
          aussi en parallèle la musique et la danse : ce film c'est pour 
          moi une formidable occasion de réunir toutes mes passions.
                
          Pour chanter et danser vous avez choisi des non professionnels, 
          des gens de la rue. Cela se voit et cela s'entend. Vous avez choisi 
          ainsi une fragilité.
          
                Absolument. Le casting est composé de 
          non professionnels, en dehors du chauffeur, Umban Gomez De Kset, qui 
          est un ancien du théâtre Daniel Sorano de Dakar mais aussi un chanteur 
          qui se produisait dans les années 70 avec le West African Cosmos en 
          compagnie de Wasis Diop… et de mon père Ayib Gaye à la basse. Mon choix 
          de départ n'était pas de travailler avec des non professionnels mais 
          cela s'est imposé au casting : il y avait des comédiens mais après 
          avoir vu des centaines de personnes, il y avait des évidences. Ce qui 
          m'intéresse la plupart du temps, c'est de travailler sur des énergies. 
          A partir de ce postulat, je ne me suis pas forcément retrouvée confrontée 
          à des professionnels mais avec des gens qui avaient du désir. Il y avait 
          peu de temps, peu de moyens. Il fallait aller vite et donc que l'énergie 
          soit là dès le départ. On ne pouvait pas attendre : il fallait 
          aller au charbon très vite ! Pour la plupart, c'est une première 
          expérience de cinéma.
                
          Aussi bien au niveau du chant et de la danse ?
          
                Oui, sauf pour l'une des deux sœurs, 
          qui se trouve être ma sœur, et qui est danseuse et chorégraphe. Elle 
          a réalisé toutes les chorégraphies du film que l'on a réfléchi comme 
          la musique en fonction des personnages, mais aussi des comédiens. Car 
          plus que des chorégraphies il s'agissait au départ de développer leur 
          mode d'expression corporelle …
                
          C'est un gros travail de préparation !
          
                Oui, très long. L'enregistrement de la 
          musique s'est fait en amont du tournage. On a tourné le film en play-back. 
          C'est un gros travail pour les comédiens d'arriver à chanter en play-back ! 
          Baptiste Bouquin, le compositeur nous a accompagnés tout au long du 
          tournage ce qui a été très précieux dans le travail avec les comédiens. 
          Quatre d'entre eux sont de Paris : on avait donc pu commencer le 
          travail en amont avant de le faire avec les comédiens sénégalais sur 
          place. On a eu une semaine de laboratoire intensif qui consistait principalement 
          à mettre en place les tableaux musicaux, les chorégraphies, avec quelques 
          danseurs professionnels qui apparaissent dans les vues d'ensemble à 
          la gare routière ou sur les capots des voitures.
                
          Comment avez-vous pu tourner dans le chaos de la gare routière 
          de Dakar ?
          
                Je ne dirais pas que c'était simple. 
          D'ailleurs, rien n'était simple sur ce film, entre la route et les tableaux 
          chantés. Mais bizarrement, cela s'est fait assez simplement à la gare 
          routière. On a loué un espace qui nous a été réservé durant 4 ou 5 jours. 
          Quand on a posé les décors et fait tourner la musique, cela a bien sûr 
          attiré les foules autour mais la vie de la gare a continué. Les "7 places" 
          se remplissaient autour de nous, avec une centaine de clients, de rabatteurs 
          ou de chauffeurs qui regardaient très respectueusement en attendant 
          leur départ, et participaient même car beaucoup de figurants du film 
          sont des gens de la ville de Dakar ou qu'on a pu croiser sur la route. 
          Quand on arrive sur un décor au Sénégal, on vous fait comprendre qu'on 
          est chez eux : il faudra faire avec eux. Cela peut être perçu comme 
          une contrainte mais je considère que c'est une force car la nature de 
          ce qu'on est en train de filmer prend toute sa dimension. Les arrière-plans 
          sont chargés de réalité.
                
          Le tournage a eu lieu au moment du grand Magal de Touba, le pèlerinage 
          mouride qui chaque année vide Dakar avec tout le monde sur les routes !
          
                Cela a été au départ la source de beaucoup 
          d'angoisses qui se sont résolues. On a tourné quelques séquences sur 
          une route parallèle, celle de M'bour. Au moment de l'incident des pastèques, 
          un car qui remontait vers la Mauritanie s'est échoué sur notre décor 
          avec 150 personnes à bord. Parti dans le ravin, ensablé… rien de grave 
          mais il a fallu, avec le camion qui sert dans le film, tirer ce car 
          pour l'en sortir.
                
          Et vous ne l'avez pas utilisé dans le film ?
          
                Non, on ne l'a pas filmé ! On n'a 
          pas eu le temps : c'est arrivé trop vite !
                
          Le film a été présenté en première mondiale à Locarno, pas encore 
          au Sénégal ?
          
                La première y est prévue pour le 19 décembre 
          2009.
                
          Pensez-vous qu'au Sénégal on va vous reprocher de ne pas avoir 
          mis que de la musique africaine ?
          
                Certainement ! Et certainement aussi 
          parmi le public occidental !
                
          Et vous assumez ?
          
                Complètement ! 
          
          
          Apt, novembre 2009